Bénin : Rester ou sortir de la zone CFA ? La question sur la table des députés

Crédit photo: Service de communication de l'Assemblée nationale

Les parlementaires béninois sont en session plénière ce mardi 22 décembre 2020. A l’ordre du jour, l’abandon ou non du franc Cfa. Auront-ils le courage de prendre une décision historique au grand bonheur de l’indépendance monétaire des Béninois ? Telle est la préoccupation majeure qui occupe l’esprit de la population. 

En prélude à cette rencontre des disciples de Louis Vlavonou, le directeur des services législatifs de l’Assemblée nationale du Bénin s’est prononcé, lundi 21 décembre, sur le sujet sur une télévision locale. 

Yves Ogan, a clairement indiqué que le Cfa est « un véritable problème ». L’avocat au Barreau du Bénin, anciennement avocat au Barreau de Paris a démontré que cette monnaie coloniale est inhibitrice du décollage de ses utilisateurs.

Les députés béninois en plénière Crédit photo: Service de communication de l’Assemblée nationale du Bénin

 

 Ce qui est attendu des députés, croit-il, est de remettre en cause « cette façon de faire (de la France), qui consiste à mettre la main sur notre économie pour perpétuer une certaine domination ».

Voici l’intégralité de sa sortie

Journaliste : Quel est l’impact du Cfa sur le décollage du Bénin ?

Yves Ogan : C’est un véritable problème, le Fcfa. Un véritable problème pour le Bénin et tous les pays francophones, car il est structuré de telle sorte que nous sommes assujettis à une domination de la France. Et les accords de coopération monétaires viennent raffermir cette domination. 

Voilà rapidement ce qui se passe au sein du Cfa : Vous avez une Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) qui est une subdivision du ministère des finances français. En son sein il y a des représentants qui siègent au Conseil d’administration et qui ont voix prépondérantes. Ces gens-là  contrôlent notre économie dans sa forme la plus réelle.

Un autre exemple : les décisions prises au sein de la BCEAO doivent être soumises au ministère des finances français avant leur approbation. Ce sont de petites choses qui ne paraissent pas dans les textes, mais des pratiques qui montrent à souhait que la France a installé un système depuis 1945 depuis la création du Cfa, cette monnaie qui est leur émanation, leur création. Le Cfa n’est pas la création des Africains. Les Africains n’ont jamais choisi encore leur monnaie. 

Alors, cette façon de faire, qui consiste à mettre la main sur notre économie pour perpétuer une certaine domination doit être remise en cause. C’est ce que l’Assemblée nationale va tenter de faire en posant les questions fondamentales liées à l’existence de ce Fcfa et à l’existence d’un Eco qui, à l’origine a été discutée, conçue en théorie par la CEDEAO dont la France a essayé de déstabiliser sa mise en place qui devrait intervenir depuis 2019 et qui, aujourd’hui est un peu secouée par cette tentative de déstabilisation de la France qui continue. Les peuples doivent s’en saisir pour réellement prendre leur indépendance, indépendance économique et financière. 

Yves Ogan directeur des services législatifs de l’Assemblée nationale du Bénin

Pourquoi prendre son indépendance économique et financière ? Dans votre poche, si vous avez aujourd’hui 1000F, 20F simplement sont à vous et 80F appartiennent à la France. Cela veut dire que 80% de nos revenus en réalité sont captés par la France avec cette monnaie-là. Pour un salaire de 40 000F, 8000F seulement sont à vous et 32 000F structurellement sont la propriété de la France. Ça veut dire que nous travaillons pour la France, nous travaillons  pour enrichir la France. 

Si nous créons de la richesse, cela suppose que sur notre PIB, 20% seulement sont à nous, le reste c’est de la richesse que nous créons de façon monétaire pour la France. C’est elle qui frappe la monnaie. Ce sont ses employés qui travaillent au sein de l’entreprise qui frappe la monnaie à la Banque de France. C’est elle qui détermine les agrégats macroéconomiques sur lesquels cette monnaie va reposer et qui ne sont pas en réalité des agrégats macroéconomiques que nous visons dans nos pays. Ce sont des agrégats européens. Evidemment, dans ses conditions, vous avez une monnaie qui est chère, d’où les taux d’intérêt de 12, 5- 14%.

Si vous faites un prêt de 1 milliard pour un particulier à 12,5 % supposons pour la construction d’un immeuble. Mais vous allez le rentabiliser quand ? Autrement dit, vous ne le rentabiliserez jamais parce que le taux d’intérêt est trop élevé, le loyer de cet argent est trop cher. De même, dans notre économie réelle les Pme et les Pmi, elles ont accès théoriquement au crédit mais elles n’ont pas la facilité d’avoir le crédit qui leur permet d’investir parce que les taux d’intérêt sont trop élevés. 

Alors, il faut poser toutes ces questions et faire le choix de sa propre monnaie. Soit, nous restons avec l’Eco de la Cedeao, ensemble nous sommes plus forts mais alors il va falloir rapidement aller à cette monnaie et discuter des termes les plus précieux et de la structuration de cette monnaie pour qu’il n’y a pas de discordance entre les Etats, ou alors nous quittons le Cfa et nous faisons cavalier seul. Ceux qui seront à peu près dans le même giron économique que nous et qui seront d’accord nous suivront. 

Enfin, regardez le Bénin actuel, les efforts consentis par le gouvernement. La rigueur dans la gestion du président de la République Patrice Talon. Les résultats économiques que nous avons, ce sont des résultats de Patrice Talon. Vous avez un Chef d’Etat aussi rigoureux, qui gère une monnaie qui sera propre à lui, propre à son pays, avec cette rigueur vous voyez bien que nous serons déjà à deux doigts d’être parmi les pays les plus respectés et les plus développés qui puissent exister. Lorsque nous travaillons au Bénin de la sorte avec cette force, la force avec laquelle nous maitrisons nos données économiques, et aujourd’hui les résultats que nous produisons en réalité nous n’en bénéficions pas. Ces résultats vont ailleurs. Alors, il faut remettre tout cela en question, discuter et remettre le débat au peuple.

La question de la monnaie dans notre Constitution, je pense à l’article 98, la répartition des domaines entre la loi et le règlement impose que la monnaie fasse partie du domaine de la loi. Cela veut dire quoi ? Le constituant a permis au peuple, à travers sa représentation nationale d’avoir accès aux débats et même aux principes d’existence et de création de la monnaie. C’est l’Assemblée nationale qui discute de l’existence de la monnaie propre à un pays. En tout cas au Bénin¸ c’est le cas.

Donc c’est tout à fait légitime que l’Assemblée nationale se saisisse de cette question et la pose sous forme de débat oral avec discussion qui s’ensuivra au gouvernement. Mais c’est le peuple qui est pris à témoin. Il faudra que nous fassions le choix de ce que nous voulons. Toujours continuer dans la servitude monétaire, dans l’esclavage monétaire ou réellement prendre notre indépendance et aller plus loin. 

Quel est aujourd’hui l’état des lieux avec l’Eco et la probabilité de sa mise en exécution ?

A partir des années 2017 la CEDEAO a voulu donner une feuille de route pour que le 1er janvier 2020 l’Eco soit une réalité. Entre temps vous avez eu une déclaration du président Macron et du président Ouattara qui ont fait signer des documents aux ministres des finances de la zone UEMOA pour la création d’un Eco aussi, une monnaie Eco qui vient un peu concurrencer et brouiller le message de l’Eco de la CEDEAO.

Alors, piqués à vif, les pays qui ont travaillé fondamentalement à la création de cette Eco, je pense au Nigéria, au Ghana et même au Bénin se sont posés la question de savoir quel est le but de cette manœuvre. Automatiquement cela a perturbé la feuille de route, la mise en place juridique de cette Eco CEDEAO. Donc une fois de plus, par l’action de la France l’Eco CEDEAO a connu un ralentissement pour sa mise en œuvre.

Il faudrait aujourd’hui qu’on pose la question aux peuples de choisir entre partir avec sa propre monnaie ou partir avec la monnaie de l’Eco CEDEAO. Le parlement béninois s’est saisi de la question et je pense que le parlement de la CEDEAO doit aussi s’en saisir, parce qu’il s’agit des peuples, d’une monnaie utilisée par les peuples. Donc c’est une problématique qui doit être posée au sein des Assemblées représentantes des peuples tant dans l’espace CEDEAO qu’au plan national. 

Est-il possible aujourd’hui de faire définitivement dos au Fcfa ?

Il y a un préalable. La France elle-même a déjà tourné dos au Cfa parce que récemment leur Assemblée a voté un texte qui y met fin. Les peuples africains doivent faire ce choix. Au préalable, quitter le Fcfa. Ce qui a été voté par le parlement français acte doit en être pris par les parlements africains. Donc pour les Africains le Fcfa ne doit plus exister en conséquence du vote en France. Première étape.

Seconde étape, tout cela sera mis à plat à l’Assemblée nationale au cours de la session plénière. Je pense et j’espère que les députés béninois auront le courage, qu’ils auront la force comme ils l’ont toujours eu, de poser le problème de la façon la plus profonde que possible, qu’un choix soit fait et je ne pense pas qu’un choix définitif soit fait, mais qu’un choix de principe soit acté à partir de demain.

Transcription et rédaction Sêmèvo Bonaventure AGBON 

 

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