Interview : ‘’Quand je suis dans mon rôle de technicien sons et lumière, j’oublie tout le reste ‘’ dixit Jacob Bamogo

 

Peut-on devenir forgeron, régisseur sons et lumière puis enseignant ? Pour certains la réponse serait non. Mais, Jacob Bamogo lui, nous fait savoir que tout cela est possible quand il y a de la passion qui embaume. Grand concepteur africain des spectacles vivants à travers le monde, Jacob Bamogo est aussi promoteur d’un festival dans son pays, le Burkina Faso, qui promeut la métallurgie africaine.

De passage à Conakry pour un séjour de travail, votre média panafricain a décroché une interview avec l’homme de culture. Lisez !

Interview réalisée par Aissata Camara

F.M : Bonjour, présentez-vous à nos lecteurs.

Jacob : Bonjour je m’appelle Jacob Bamogo. Je suis un technicien qui se débrouille comme il peut, qui a la chance d’enseigner dans des universités de la sous-région, qui fait de la formation, qui a également un évènement qui s’appelle le festival Wed-Bindé de Kaya. Festival dans lequel, je fais la promotion du savoir-faire ancestral qui est le métier de forgeron.

F.M : Vous êtes à Conakry depuis quelques jours, on peut savoir ce qui vous emmène ?

Jacob : C’est une formation qui m’emmène à Conakry. J’ai eu la chance d’être désigné par une compagnie de la Côte d’Ivoire, pour animer un atelier technique qui a été financé par des partenaires dans cette belle ville.

F.M : Vous vous y plaisez ?

Jacob : Oui c’est la meilleure ville pour ne pas dire le meilleur pays pour moi du monde. Vous savez j’ai eu la chance de voyager dans le monde, mais c’est le pays où quand j’arrive, je me sens comme chez moi, je suis heureux, je n’ai pas envie même de partir.

F.M : Pour revenir à votre parcours, vous êtes technicien en sons et lumière, enseignant chercheur mais aussi forgeron. Dites-nous comment vous arrivez à concilier ces différents métiers qui vous définissent ?

Jacob : Bon ! Je suis né forgeron. Mon métier de technicien je l’ai appris à l’école et j’ai eu la chance d’aller à l’extérieur pour approfondir mes connaissances cela m’a permis de diriger presque tous les festivals en tout cas les plus importants en Afrique de l’ouest comme en Afrique centrale et j’ai formé des gens à travers le monde. C’est le métier que j’adore le plus. Quand je suis dans mon rôle de technicien sons et lumière, j’oublie tout le reste.

 Et pour la petite histoire, une fois un président avait dit que les africains n’ont pas de science, ni d’histoire.  Ce discours m’a poussé à repartir voir les parents pour leur dire que je suis forgeron certes, mais je ne sais pas d’où je viens. Je leur ai aussi demandé comment on se débrouillait avant pour se procurer du fer sans celui du blanc ? Et un septuagénaire m’a répondu qu’il se rappelait de la technique. C’est alors que je lui ai demandé de m’aider à m’approprier de cette technique ancestrale africaine afin de faire découvrir ce savoir-faire partout dans le monde. C’est de là d’ailleurs que nous est venu à l’esprit en 2005, d’introduire le savoir-faire ancestral des forgerons dans notre festival de danses et musiques de Kaya appelé Web-Bindé qui existait 4 ans plutôt. 

Les dogons (forgerons) du Mali au festival Wed-Bindé de Kaya 2022, avec leur traditionnel fourneau pour les démonstrations

 En 2005 donc, nous avons organisé des démonstrations avec des chercheurs d’universités de Ouagadougou et même des autorités qui se sont déplacées parce que c’était exceptionnel. A partir de la latérite des montagnes, ils ont fait sortir de la loupe et avec cette loupe, ils ont réussi à fabriquer un outil qu’on a remis aux officiels c’était impressionnant.

Cette réalisation a permis au Burkina Faso, d’inscrire les anciens sites de la métallurgie au patrimoine mondial de l’Unesco en avril 2019. En 2020, notre association (Passate) a été accréditée auprès de l’Unesco. Au Burkina Faso, nous sommes depuis l’indépendance, la deuxième association à recevoir cette accréditation. 

F.M : Depuis quelle année vous enseignez ?

Jacob : J’enseigne depuis 2005 à l’université de Ouagadougou le cours de régie, son et lumière puis dans d’autres universités du Burkina, avec des cours de décoration et de scénographie. En revanche, c’est depuis 1994, que j’anime des ateliers.

Jacob Bamogo en compagnie de certains de ses stagiaires à Conakry

F.M : Comment arrivez-vous à vous organiser concrètement au milieu de toutes vos tâches ?

Jacob : C’est une question d’envie, de volonté, d’amour de la chose. Imaginez, j’avais le festival cette année, on a eu des forgerons dogons du Mali qui sont venus pour des démonstrations publiques et d’autres pays aussi, mais j’étais obligé de quitter le festival après l’ouverture, parce qu’une mission m’attendait pour le Maroc. Je suis certes le président mais comme je ne suis pas la seule personne de l’association, mes collègues ont assuré les choses de bout en bout pendant 3 jours et tout s’est bien passé. Ce n’est pas facile de tout coordonner mais j’arrive à m’en sortir.

F.M : Ce genre de contraintes de temps où vous devez sacrifier une activité pour une autre est-il récurrent ?

Jacob : De temps en temps oui et c’est la covid-19 qui est venue tout arrêter sinon, j’ai la chance d’être toujours sollicité. Ce qui est très important, il ne faut jamais mettre l’argent au-devant des choses. De ce que j’ai compris, il m’est arrivé d’être dans des pays de la sous-région, pour faire gratuitement des activités et à travers cette gratuité on me découvre et je gagne des cachets plus gros que ce qu’on m’aurait payé. Mais actuellement, les gens pensent seulement à l’argent rien qu’à l’argent. Je dis non l’homme est plus important que l’argent et c’est ce que j’essaie de privilégier dans mes rapports socio-professionnels. Pour certains j’ai de l’argent non loin de là, j’ai un minimum et avec ça, j’essaie de vivre comme je peux je ne me plains pas du tout et je pense sincèrement qu’il faut être humain envers son prochain.

F.M : Qu’est-ce qui vous fascine le plus dans votre travail de technicien ou d’ingénieur ?

Jacob : Ce que j’aime c’est l’après boulot, la finalité. Surtout quand vous finissez que le metteur en scène, le chorégraphe et le public sont heureux, cela me rend joyeux et je dors tranquillement. Pour la petite histoire, j’ai travaillé avec une artiste guinéenne pour la mise en place de son spectacle et un journaliste est resté avec nous jusqu’à 2h du matin. Il voulait comprendre pourquoi pendant le spectacle on n’a fait monter sur scène une marmite qui boue jusqu’à prendre feu, il disait que cela relevait du surnaturel (rire). Donc c’est dire que ce jour mon travail a touché des gens. C’est ça le rôle d’un technicien d’aller au-delà du texte et de ce que les gens peuvent s’imaginer voir.

Avec les jeunes que je viens de former, je suis très exigeant et stricte. J’aime que les gens apprennent. Après on devient des amis on fait tout mais pendant mes cours, je ne permets pas qu’on s’amuse je veux qu’on réussisse c’est ce qui est très important pour moi.

F.M : C’est quoi le plus difficile pour un technicien de son et lumière ?

Jacob : Le plus difficile c’est la concentration. Pour faire la création de la lumière d’un spectacle, il faut que tu lises le texte une, deux, voire une cinquantaine de fois pour comprendre d’abord pourquoi la personne a écrit ? Par ce qu’il faut que votre création accompagne l’histoire. Donc c’est difficile quand on te confie la responsabilité de faire la création tu ne dors pas tu es obligé de veiller et à un moment de la nuit tu te poses des questions de pourquoi la personne a voulu parler de ci ou ça pour mieux appréhender le texte. Et pendant le spectacle, tu deviens un soutien pour la personne sur scène parce que tu anticipes les choses pour qu’elle se rappelle des étapes si elle les avait oubliés par exemple. C’est la combinaison avec toute l’équipe qui fait une belle réussite. J’ai toujours eu la chance d’être de l’équipe gagnante et j’ai peur du contraire.

F.M : De votre œil critique, quel regard lancez-vous sur le travail des plus jeunes techniciens de votre domaine sur le continent ?

Jacob : Je pense que ce qui leur manque, c’est l’amour de la chose. Les gens voient tout de suite l’argent et c’est ça qui nous pénalise. Il faut voir d’abord la réussite. Oublie l’argent, l’argent ça va venir si tu aimes ton boulot si tu aimes le faire avec une certaine sincérité, il n’y a pas de raison que tu n’aies pas de l’argent.  Par contre si tu mets au-devant l’argent, tu ne peux jamais t’en sortir parce que tu ne te concentre pas sur ton spectacle, ou sur ta création. La jeune génération se focalise plus sur l’argent que le travail et moi je les invite à travailler d’abord et de penser à l’argent après. Si vous le faites bien, on aura besoin de vos compétences et l’argent viendra naturellement.

F.M : Comment voyez-vous l’avenir du métier de technicien de sons et lumière dans 10 ou 15 ans avec l’évolution technologique que le monde connaît aujourd’hui ?

Jacob : Même dans 20 ans, le technicien aura toujours sa place car 20 ans en arrière, je n’utilisais pas le numérique. Mais moi j’apprends toujours et j’ai toujours dit, que tout homme doit apprendre. Car celui qui pense savoir et refuse d’apprendre, est obligé d’oublier la technique.

F.M : Votre mot de la fin.

Jacob : Je vous dis merci et souhaite pleine réussite à Farafyna Médias.

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